Michel Kacenelenbogen replace le duo des "Souris et des hommes", Serge Demoulin et Olivier Massart, dans cette tragi-comédie de Molière au relent de soufre. Molière y défend la liberté de pensée contre l'adhésion aux croyances populaires et le caractère superstitieux de la religion. Derrière la farce à l'efficacité redoutable, les faux dévots se sont reconnus et vont, quinze jours après la création de la pièce, l'interdire définitivement du vivant de "Dom Juan", ou l'amoralisme joyeux titrait William Bourdon dans une chronique du Soir du jeudi 10 juillet.
Un "Dom Juan", c'est un séducteur invétéré, qui ne s'embarrasse guère de scrupules pour assouvir ses pulsions libidineuses. Le nom propre a donné naissance à un nom commun, le "donjuanisme", qui qualifie un besoin pathologique de séduire, une propension à accumuler les conquêtes. (…)

Molière ne fut ni le premier ni le dernier à s'emparer de cette histoire : on dénombre plus d'une trentaine de versions, en prose, en vers ou en musique. Mais sous nos latitudes, c'est incontestablement son "Dom Juan" (avec un "m", comme le poème de Baudelaire) qui, avec celui de Mozart ("Il dissoluto punito, ossia il Don Giovanni", 1787, sur un livret de Lorenzo da Ponte), contribua le plus sûrement à faire entrer ce drôle dans l'imaginaire collectif. (…)

Après les remous provoqués par son "Tartuffe", Molière frappa fort. "Dom Juan ou le festin de pierre" ne tint l'affiche que le temps de quinze représentations au moment de sa création, en 1665… Ce n'est sans doute pas tant l'audace d'avoir consacré une "comédie" à un personnage scandaleux qui choqua les dévots, mais bien le fait que Molière le présenta comme "un grand seigneur méchant homme" selon l'expression de son valet, Sganarelle. Méchant homme sans remords : c'est le cœur léger que cet Antéchrist prénietzschéen se rendra au "festin de pierre" où il avait été convié, disparaissant pour toujours dans les entrailles de la terre sans avoir rien abjuré. (…)

S'étonnera-t-on qu'après son "bide" initial, "Dom Juan" soit devenu l'une des pièces les plus célèbres du répertoire ?